mardi 12 septembre 2017

Micaela Feldman, une femme de tête en Espagne: le point de vue romanesque d'Elsa Osorio

capitana

Le site de l'auteure, celui de l'éditeur.

Un destin d'exception. Celui de Micaela Feldman (1902-1992), dite "La Capitana" ou "Mika Etchebéhère" (du nom de son mari), femme engagée au front, personnalité importante et méconnue de la guerre d'Espagne. Tel est le sujet de "La Capitana", roman historique et biogra:phique écrit par l'auteure argentine Elsa Osorio - une compatriote de Mika, qui a consacré toute son existence à sa vision d'un monde plus juste, s'engageant tour à tour en Allemagne, en Espagne, en France. Et au-delà de l'engagement politique de cette femme, c'est le portrait d'une personne charismatique et fidèle à elle-même que la romancière dessine.

Elsa Osorio l'indique en postface: ce roman est né d'une gestation qui a duré plusieurs années, traversée par les doutes, les regrets, les mises à l'écart et les sursauts de motivation nés de rencontres. Il fallait que ce livre vînt, et le résultat s'avère flamboyant: le lecteur se trouve en présence d'un texte épatant qui met en scène une femme de tête, à la fois généreuse et de grande autorité.

Le début du roman a l'image des pièces d'un puzzle, montrant Mika dans diverses situations clés de sa vie. Et peu à peu, ces éléments trouvent leur lien entre eux. Côté histoire, naturellement, c'est surtout la guerre d'Espagne qui est mise en avant, celle de la fin des années 1930. La romancière montre avec une clarté certaine les rivalités entre factions, y compris du côté républicain: entre staliniens, socialistes, anarchistes et le fameux POUM, l'entente n'est jamais évidente. Ce qui profitera au camp adverse, franquiste, avec la suite que l'on sait. Rien de lourdement technique cependant, dans la narration: beaucoup de choses passent à travers les ressentis des personnages, par exemple celui de la poumiste Mika, qui peine à accepter qu'on la considère, avec sa faction, comme une traîtresse.

C'est avec la même précision que l'écrivaine met en scène les années de montée du nazisme, vécues en Allemagne par Mika - et vues, là aussi, du côté des factions socialistes. On trouvera même un personnage juif qui souhaite donner sa chance à Hitler... alors que le destin de Mika va la porter vers l'Argentine, en lieu sûr: elle est juive elle aussi. Cela, avant de vivre à Paris, où elle découvre que porter des gants, c'est mieux pour desceller les pavés en mai 68 - et où, plus tard, elle aura son point de vue bien arrêté, toujours libre et en décalage avec ses compatriotes expatriés, sur la guerre des Malouines.

La grande histoire est donc bien présente, montrant certains échecs des gauches dans le contexte de l'avant-guerre européenne – et l'auteure la recrée avec une finesse certaine, résultat de recherches et d'entretiens. Mais il y a plus captivant encore dans "La Capitana", et c'est l'attention de tous les instants portée à l'humain, y compris aux sentiments. En premier lieu, Mika Etchebéhère est présentée comme une personne dotée d'une empathie jamais prise en défaut. Elle est vue comme capable d'une certaine souplesse qui n'interdit pas, au contraire, un sens inné de ce que l'on appelle aujourd'hui le leadership. Le fait qu'elle soit femme et officier est interrogé aussi, à travers le regard de ceux qui l'entourent: il y a ceux qui voient en elle une femme, et se montrent sensibles à sa personnalité, et ceux qui la considèrent comme un chef, peu importe son genre. Des sensations exacerbées par le contexte particulier, paroxystique, de la guerre civile.

Humanité également dans la vie privée et les drames intimes de Mika, à travers entre autres sa position ambivalente vis-à-vis de la maternité (peu compatible avec la vie qu'elle mène, mais un retard dans ses règles suffit à l'ébranler dans cette certitude), mais aussi de l'attention qu'elle porte à son compagnon, tout aussi investi qu'elle dans les luttes sociales de son temps (à travers des articles, un journal même), mais souffrant de tuberculose.

Dans "La Capitana", la richesse de l'humain répond à la richesse de l'histoire, dans un regard qui, s'il est bien celui de Micaela Feldman, autorise également des coups d'œil extérieurs, émanant cependant de son camp, celui des républicains - on pense à la figure de la jeune Emma. Fresque romanesque généreuse, cet opus d'Elsa Osorio met en lumière une personnalité engagée qui, méconnue, a joué un rôle clé de leader dans plus d'une bataille, que ce soit sur le champ de la guerre ou sur le terrain des idées.

Elsa Osorio, La Capitana, Paris, Métailié, 2012, traduction de François Gaudry.

2 commentaires:

  1. J'avais tellement adoré Luz ou le temps sauvage ! Même si le sujet est tout autre, ton billet me laisse à penser que je devrais aussi trouver mon compte dans La Capitana. Il est déjà sur ma LAL depuis un moment d'ailleurs, mais je l'avais un peu oublié...

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    1. Ah oui, c'est une page d'histoire! Perso, je ne connais pas grand-chose de la guerre d'Espagne; ça m'a permis d'en savoir un peu plus.

      Je te souhaite une bonne lecture de ce livre!

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