vendredi 9 juin 2017

Monique Rivet, non-dits autour de l'Algérie française

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Guelfe au Gibelin, et Gibelin au Guelfe. Prisonnière du glacis, en somme: tel est le destin de Laure Delessert, parachutée en Algérie dans les années 1950 avec une charge d'enseignante. C'est autour d'elle que se développe l'intrigue du roman "Le Glacis", ouvrage en partie autobiographique: son auteure, Monique Rivet, l'a écrit dans les années 1950, alors qu'elle était elle-même jeune enseignante dans l'Oranais, sur mandat. Et ce n'est qu'en 2012 que ce livre a enfin paru aux éditions Métailié. Autant dire que "Le Glacis" a une valeur personnelle autant que littéraire.

Glacis? C'est un mot de diplomatie qui désigne ces lieux géographiques qui forment une limite entre deux lieux (des quartiers, en l'occurrence) où vivent des population distinctes qui se tournent le dos. En l'espèce, l'auteure utilise précisément ce mot pour désigner une rue de la ville au nom fictif d'El-Djond, qui fait office de paroi de verre, théoriquement inexistante, entre les lieux où vivent les colons et ceux où habitent les indigènes, dans les dernières années de l'Algérie française. Et si le rapprochement est encouragé de manière officielle, la réalité relève davantage d'un communautarisme de mauvais aloi, où chaque groupe de population installé en Algérie dans les années 1950 se regarde en chiens de faïence.

Décalage entre ce que l'on encourage par le verbe et la situation réelle: dès le départ, l'écrivaine joue là-dessus pour développer une narration du non-dit. Le point de vue le plus évident est bien sûr l'utilisation du mot "événements" pour parler de ce qui est une "guerre". Laure Delessert atterrit dans ce monde de non-dits, dont l'auteure souligne la pesanteur, et s'exprime avec un grand naturel, posant des questions, fréquentant qui lui plaît. Ce personnage fait bien sûr sur figure de "Reiner Tor", de "chaste fol" à la Parsifal, capable, par une féconde maladresse, de poser des questions sur ce qui se passe. Et interroger un univers où, même si l'on vient de Paris, il vaut mieux ne pas se montrer trop curieux.

Laure Delessert, donc. Le glacis, n'est-ce pas elle-même? L'espace géographique fait dès lors écho à ce personnage, qui vit en se fondant sur ce qu'elle a pu connaître au boulevard Saint-Germain à Paris et, d'une manière innocente et funeste, va la culpabiliser. Cela vient peu à peu: insouciante, sans penser à mal, Laure va s'attacher successivement à Felipe, David et Bachir. Des attachements à un espagnol, un juif et un musulman qui vont lui être reprochés à terme. Faute d'avoir su choisir son camp, Laure se retrouve ainsi isolée dans "Le Glacis". Elle deviendra un personnage auprès duquel personne ne veut s'arrêter - de même qu'un glacis, lieu à la fois de passages et de limites, n'est pas forcément un emplacement désirable pour y vivre longtemps.

Le lecteur sera attentif, bien sûr, au tout premier chapitre, qui fait figure de prologue: le lecteur se demande ce qu'il se passe, et peut imaginer que quelques religieux se montrent violents à l'encontre d'un chrétien. Est-ce bien cela? Qui est qui, qui doit dire "A bas la France"? L'auteure ne dit rien de tout cela, et se contente de relater. Ainsi se dessine, de manière froide, sans juger, un rejet réciproque entre deux populations qui devraient pourtant se rapprocher - en tout cas selon ce que souhaite une métropole bien lointaine. 

Ecrit dans les années 1950, "Le Glacis" n'a paru qu'en 2012. L'auteure a mis un peu de sa propre expérience dans les pages de ce roman sobre et tragique, récit d'une expérience d'enseignement et surtout de vie en Algérie, peu avant la décolonisation. Cela, en mettant l'accent sur le non-dit, les codes sociaux qu'il faut apprivoiser sans qu'on n'en dise rien, et tout leur poids au quotidien.

Monique Rivet, Le Glacis, Paris, Métailié, 2012.

2 commentaires:

  1. J'ai relu mon article de blog après ton commentaire.
    Et, tristesse, j'avais tout oublié de ce roman ! :(

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    1. Ouch!
      Mais qu'en sera-t-il de mes propres souvenirs concernant ce livre, dans quelque temps? :-)

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